Je conçois et développe des solutions numériques pour les entreprises et il y a une phrase qui me fait toujours mal quand je l'entends : "C'est génial, j'ai pu me passer de mon assistante !"
Il était content de son ROI. Moi, j'avais l'impression d'avoir échoué quelque part.
Cette situation est au cœur du malaise de la transformation digitale. Nous, les technologues, les "codeurs", les architectes de solutions, nous adorons l'optimisation. Nous aimons quand un flux de travail est fluide, quand une donnée circule sans friction, quand une tâche pénible est enfin automatisée.
Mais nous sommes terrifiés à l'idée que notre travail soit juste une version 2.0 du Taylorisme : optimiser, chronométrer, standardiser... et rationaliser l'humain.
La crainte est que l'outil de production, le logiciel, ne serve que les intérêts du capital (réduire les coûts) au détriment de la force de travail (supprimer des emplois).
Je crois que c'est une erreur fondamentale de vision.
On n'automatise pas un poste, on automatise des tâches
Reprenons l'exemple de "l'assistante". Qu'avons-nous vraiment automatisé ? Avons-nous automatisé sa capacité à gérer un imprévu, à apaiser un client mécontent ou à organiser un événement complexe ?
Non. Nous avons automatisé la double saisie de factures, la génération de rapports manuels ou la relance de paiements.
Si un poste de travail consiste à 90% en tâches automatisables, ce n'est pas un problème technologique. C'est un problème managérial. C'était déjà, pour le dire crûment, un "job à la con" : un travail sans valeur ajoutée, répétitif et aliénant, où l'humain est utilisé comme un rouage.
Le logiciel n'a pas supprimé un "poste". Il a supprimé un script. Il a libéré une personne d'un script.
Le vrai choix du dirigeant : la voie courte contre la voie stratégique
L'outil digital est un levier. Il génère un gain de productivité. Disons que ce gain est de 30 000 € par an (le coût de l'assistante).
Le dirigeant se trouve alors face à un carrefour managérial.
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La voie courte (le cost-killer) : Il empoche les 30 000 €. Il licencie. Il a optimisé ses coûts. C'est un gain one-shot. L'entreprise fait la même chose, mais avec moins de gens.
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La voie stratégique (le créateur de valeur) : Il considère ces 30 000 € comme un budget libéré. Il réinvestit ce temps et cet argent sur la même personne. L'assistante libérée de la saisie peut désormais passer son temps à faire de la satisfaction client, à développer des argumentaires de vente, à analyser les données commerciales ou à gérer des projets de développement.
Dans le premier cas, l'entreprise économise 30k. Dans le second cas, l'assistante (devenue "Responsable Satisfaction Client") en rapporte peut-être 60k en améliorant la fidélisation.
L'outil au service de la "force de travail"
C'est là que notre responsabilité d'experts intervient. La transformation digitale la plus rentable n'est pas celle qui réduit les effectifs, c'est celle qui augmente les compétences.
Notre rôle n'est pas seulement de livrer du code qui fonctionne. Notre rôle est de conseiller le dirigeant sur ce qu'il va faire de la puissance qu'on vient de lui donner.
L'outil moderne doit être du côté de la force de travail. Pas pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons purement stratégiques.
Un outil qui augmente l'humain crée de la valeur exponentielle :
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Il donne la bonne info au commercial pour qu'il soit plus pertinent.
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Il libère le technicien des contraintes de planning pour qu'il puisse mieux servir le client.
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Il supprime la frustration de la double saisie pour que l'expert puisse se concentrer sur son expertise.
Une machine ne fera jamais preuve d'empathie, de créativité stratégique ou de relationnel. C'est ça, la vraie valeur humaine.
Alors non, le but de la digitalisation n'est pas de "virer du monde". Le but est de rendre les jobs actuels tellement efficaces que les humains qui les occupent peuvent enfin se concentrer sur ce que les machines ne feront jamais : créer de la valeur, et non plus seulement la retranscrire.
La prochaine fois qu'un client vous dit qu'il a pu se passer de quelqu'un, demandez-lui : "Et si, au lieu de le supprimer, vous aviez transformé son poste pour qu'il vous rapporte le double ?"
La vraie transformation, elle est là.